Inclusion et diversité en éducation

Carole Fleuret, Université d’Ottawa

Eliane Dulude, Université d’Ottawa

Inclusion, qu’est-ce que ça signifie au juste?

Beaucoup de choses se disent par rapport à l’inclusion et quelquefois son application n’est pas sans écueils… Pour définir l’inclusion, nous prendrons appui sur la définition de Potvin (2013, p. 5) qui précise que pour être réussie elle « convoque différents savoirs, savoir-être, savoir-faire et savoir- vivre ensemble ». En d’autres mots, mettre en place une éducation inclusive ne se limite pas à mettre tous les enfants ensemble au sein de la classe. Il est nécessaire, pour répondre le plus adéquatement possible aux besoins des apprenants, de les accompagner en les accueillant et en adaptant les milieux scolaires, entre autres par un climat bienveillant propice à l’apprentissage et au bien-être de l’élève et de l’enseignant*. Si pendant de nombreuses années, l’inclusion a été associée aux élèves handicapés au regard de leur intégration, il est clair aujourd’hui que cette perspective est largement reprise sur la scène nationale, pensons notamment à l’Ontario avec la Stratégie ontarienne d’équité et d’éducation inclusive (2009), et la scène internationale avec l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture** (UNESCO, 2009). D’ailleurs, cette dernière soutient « qu’un système éducatif ne peut exister que si les écoles […] adoptent une démarche plus inclusive – en d’autres mots, si elles réussissent à éduquer tous les enfants de leurs communautés. » (UNESCO, 2009, p.8) On voit alors qu’inclure n’est pas si simple et l’on peut s’interroger sur le moyen mis en place quant à la réussite de chacun des élèves et sur les différents savoirs dont parle Potvin. Parmi ceux-ci, le savoir-vivre ensemble demeure la pierre angulaire de toute relation respectueuse et harmonieuse.

* Le masculin est utilisé dans sa forme épicène pour ne pas alourdir le texte.

** Pourde plus amples informations, le texte intégral peut être consulté ici : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000177849_fre

Comment être inclusif au regard de la diversité en éducation?

Le visage de la population scolaire, c’est une réalité aujourd’hui, s’est considérablement modifié par la mobilité croissante et les vagues migratoires. Cette diversité entre autres ethnolinguistique ou sociale demande des ajustements nécessaires afin d’être cohérente avec une pédagogie inclusive et le savoir-vivre ensemble. Prud’homme (2007, p.34) la définit comme : « l’expression de caractéristiques humaines ou de préférence de l’apprenant, faisant référence aux expériences déjà vécues qui sont interpellées alors qu’il aborde les situations nouvelles qui lui sont proposées en classe ». Comme le souligne l’auteur, cette reconnaissance de la diversité fait écho à un projet de justice sociale et d’équité qui doit de facto être perçu comme légitime en contexte scolaire (par exemple, comprendre ce que signifie un parcours migratoire; discuter des enjeux liés à la pauvreté et travailler autour des fausses croyances). Bien évidemment, cette diversité est dynamique et va devenir par sa légitimité un objet d’émancipation individuelle et collective (ibid.). Cependant, les agissements professionnels doivent être envisagés autrement afin de rendre constructive cette pédagogie inclusive de la diversité. Prud’homme, Vienneau, Ramel et Rousseau (2011) en proposent une modélisation par le prisme d’une conception de l’être humain qui renvoie à trois postures que nous reprendrons maintenant.

  1. Une posture éthique qui vise la reconnaissance de la singularité de chaque élève, son unicité. Elle renvoie aux expériences de l’apprenant, celles qui ont été vécues en amont ou qu’il vit à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. Reconnaître l’élève comme un individu porteur de sens, c’est avoir une curiosité face à l’« Autre » et à ses différences. De cette façon, la posture éthique reflète, dans les gestes professionnels de l’enseignant, une volonté de croire au potentiel de la réussite de chaque élève et au principe d’éducabilité universelle.
  2. Une posture épistémologique qui, pour sa part, envisage la diversité comme une rencontre, entre l’élève et une situation donnée. L’idée ici est d’entrevoir les différences intra et interindividuelles de façon à proposer des ajustements notamment par l’étayage proposé par l’enseignant (Bucheton et Soulé, 2002) à travers des contextes pédagogiques variés et pour délaisser un contexte dominant et très normatif. Cette visée a clairement des assises socioconstructivistes, car la place des interactions sociales joue un rôle majeur.
  3. Une posture idéologique qui s’inscrit dans une pédagogie de justice sociale et d’équité. Pour ce faire, il est nécessaire de proposer une panoplie de ressources partagées; la représentation de la diversité dans les ressources choisies est bien évidemment capitale dans la visée d’une culture d’échange. La diversité est vue comme une richesse et non comme un problème, car les différences relevées tissent des liens et favorisent l’interdépendance du groupe. En somme, on édifie chez tous les élèves une identité citoyenne.

Au regard de cette modélisation, on saisit mieux l’impact des différents savoirs de Potvin (2013) sur la réussite scolaire et sur l’intégration sociale des élèves. Pour construire cette culture pédagogique de la diversité, il est important que les responsables éducatifs (décideurs gouvernementaux, conseils scolaires, directions d’écoles, personnel enseignant) passent par une objectivation et, comme le disait Zarate (1993), par une démystification du réel en adoptant une approche pluridisciplinaire qui convoque à la fois les dimensions culturelles et sociales des classes afin de « limiter » les discontinuités culturelles, dont parle Felouzis, Fouquet-Chauprade, Charmillot et Imperiale-Arfaine, (2016), que nous aborderons un peu plus loin. En effet, l’hétérogénéité de nos sociétés et des milieux scolaires demande un repositionnement des valeurs où s’invite une réflexion quant aux cadres de référence retenus afin de délaisser une vision mercantile de l’école (Abdallah-Pretceille, 2008).

Felouzis et coll. (2016) ont fait ressortir, dans une synthèse portant sur la révision d’écrits scientifiques très prolifiques au sujet des inégalités scolaires, deux grandes explications et, par le fait même, ce qui achoppe quant à l’inclusion des élèves. Tout d’abord, nous trouvons ce qu’ils appellent les discontinuités culturelles qui font écho aux points de rupture entre les familles et l’école. Il peut s’agir, par exemple, du milieu social, de la précarité économique, des conceptions relatives à l’école, de la non-connaissance des normes socioculturelles attendues (par exemple, la manière de s’adresser à l’enseignant). Ces quelques exemples soulignent à quel point le cheminement des enfants peut être différent et ô combien la réussite scolaire est loin d’être homogène. Comme le soulignent les auteurs, la théorie de la discontinuité culturelle « permet de penser les inégalités scolaires en postulant que l’école, en étant “indifférente aux différences”, reproduit les inégalités de départ entre les élèves, voire les accentue » (p. 15).

La deuxième explication retenue par les auteurs concerne la discrimination systémique qui s’inscrit davantage dans la tradition de la sociologie de l’éducation américaine. Contrairement à la précédente, cette théorie avance que l’indifférence de l’école prêtée par la première ne soit pas la panacée. Elle met plutôt en exergue ce que l’on appelle « l’effet Mathieu », c’est-à-dire que l’on donne plus à ceux qui en ont déjà beaucoup (meilleures conditions de vie, capital culturel élevé, etc.). Il est clairement mis de l’avant avec ce postulat que l’offre éducationnelle n’est pas la même entre les « noirs et les blancs », notamment sur le plan de la formation des enseignants, des pratiques pédagogiques et des opportunités d’apprentissage. En d’autres mots, l’école accentue les différences, mais l’on peut y remédier en égalisant l’offre d’éducation. En somme, on remarque, dans les deux cas, qu’il existe une forme de ségrégation à la fois sociale et ethnique et que, par conséquent, l’école reproduit des inégalités scolaires.

Est-ce que l’on est vraiment inclusif en contexte scolaire francophone?

En Ontario, le contexte sociolinguistique qui prévaut rend difficile la prise en compte de cette diversité dans une perspective inclusive. La peur de l’assimilation à l’anglais laisse peu de place aux autres langues et cultures (Fleuret, Bangou et Ibrahim, 2013). Comme le souligne Gérin-Lajoie (2020), l’inclusion des élèves immigrants est davantage de l’ordre du discours officiel. Elle précise que l’on tient pour acquis que tout ce qui touche au fait francophone demeure commun à tous les élèves. En sachant l’importance des expériences vécues par ces derniers, est-ce vraiment équitable d’envisager la francophonie de cette façon en sachant qu’elle n’est pas partagée par tous? (ibid.). Pourquoi ne pas plutôt envisager une francophonie plurielle qui permettrait d’édifier un sentiment d’appartenance?

Akkari et Gohard-Radenkovic (2002) ont révélé dans leur étude réalisée auprès d’enseignants suisses et américains que l’origine socioculturelle de l’enseignant et la tradition éducative institutionnelle créent un milieu où la langue d’enseignement demeure le point nodal qui conditionne la réussite des groupes minoritaires sur les plans culturel et social. Dans la mesure où les répertoires langagiers qu’ils possèdent ne sont pas reconnus dans l’institution scolaire, leur intégration demeure alors fragile, voire freiner. Un constat similaire a été fait en Ontario dans l’étude sur l’implantation du programme d’appui aux nouveaux arrivants de Fleuret, Bangou et Ibrahim (2013). Les chercheurs ont mis de l’avant au même titre que Gérin-Lajoie et Jacquet (2008) avant eux, la réalité vécue par les élèves immigrants qui deviennent une minorité dans la minorité. Ce phénomène de minorisation où les élèves peuvent être doublement, voire triplement minorisés (immigrant, minorité visible et francophonie différente) rend complexe les rapports entre les individus et réifie les cultures.

Comment rendre les pratiques plus inclusives face à la diversité?

Comme nous l’avons mentionné, il y a un certain nombre d’ajustements à faire pour tendre vers une pédagogie inclusive. La première des choses est de laisser un espace où chaque enfant trouve une place de choix – sa place. Cet espace va s’édifier à travers la prise en compte de la diversité de la classe par l’approche interculturelle où se confronte et coexiste l’unicité de chaque élève et qui favorise la mise en contexte; la diversité est vue comme un enrichissement civique (Abdallah-

Pretceille, 2011) qui permet d’édifier une identité citoyenne chez les élèves. « Si l’interculturel, c’est rencontrer l’autre au-delà des visions figées de “sa” et de “ma” culturalité, c’est le rencontrer dans ses diversités et non sa diversité de façade (artefacts, stéréotypes…), c’est accepter que nous sommes autant différents que similaires de l’autre, mais aussi du Même (i.e. celui qui provient du même espace-temps), comment espérer faire face à cet autre si d’un autre côté on formate mon identité, on la solidifie en l’enfermant dans une “culture” qui ne peut être que représentée, imaginée et essentialisée? » (Dervin, 2010, p. 35). Ainsi, même si la finalité est noble, célébrer des fêtes de façon ponctuelle amène une forme de folklorisation qui édifie une frontière symbolique quant aux différences Nous-Eux (Fleuret, 2020). L’idée n’est pas de connaître toutes les langues et toutes les cultures, mais d’autoriser l’élève à exprimer, à dire, à faire découvrir ce qu’il a de « différent » des autres pour ouvrir ses pairs au monde tout en développant leur empathie.

Par ricochet, des activités d’enseignement-apprentissage qui font écho aux élèves, à ce qui leur est familier sont donc importantes pour éviter les points de rupture que peuvent vivre les élèves par le passage de la maison à l’école (par par exemple, tradition orale à la maison et tradition écrite à l’école). La littérature de jeunesse est un artefact de choix pour rejoindre les habitus langagiers et culturels des élèves dans des contextes féconds aux apprentissages. Elle permet de développer les capacités métalinguistiques des élèves tout en travaillant la langue de scolarisation en plus de permettre des allers-retours cognitifs entre les langues (Fleuret et Thibeault, 2016; Fleuret, Auger, 2019a). En conjuguant la littérature jeunesse et les approches plurilingues, c’est-à-dire en parlant des langues et sur les langues (par exemple, en les comparant en écoutant la chaîne sonore d’un mot, etc.) on dépasse les dichotomies traditionnelles entre langues et cultures (Fleuret, Sabatier, 2019b). Les albums qui mettent en scène graphiquement plusieurs langues, participent, par les scripts différents, à cette sensibilisation à la diversité des contextes et demeurent un levier d’apprentissage critique pour le vivre-ensemble (ibid.) et pour réduire l’insécurité linguistique. En conclusion, il s’avère nécessaire de penser à un renouveau didactique où la prise en compte de la diversité pour une éducation inclusive passe par des contextes féconds qui visent une francophonie plurielle.

Références bibliographiques

Abdallah-Pretceille, M. (2011). L’éducation interculturelle. Presses universitaires de France.

Abdallah-Pretceille, M. (2008). Éthique et diversité. Éducation et francophonie, 36(2), 16-30. https://doi.org/10.7202/029477ar

Akkari, A. J. et Gohard-Radenkovic, A. (2002). Vers une nouvelle culture pédagogique dans les classes multiculturelles : les préalables nécessaires. Revue des sciences de l’éducation, 28 (1), 147- 170. https://doi.org/10.7202/007153ar

Dervin, F. (2010). Pistes pour renouveler l’interculturel en éducation. Recherches en éducation – Éducation et formation : regards critiques, (9), 32-42. http://www.recherches-en-education.net/spip.php?article131

Felouzis, G., Fouquet-Chauprade, B., Charmillot, S. et Imperiale-Arfaine, L. (2016). Inégalités scolaires et politiques d’éducation. Contribution au rapport du Cnesco Les inégalités scolaires d’origines sociales et ethnoculturelle. Cnesco : https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/felouzis_solo1.pdf

Fleuret, C. (2020). Apprenants, langues et contextes : quelles configurations pour l’apprentissage du français de scolarisation en contexte minoritaire? Dans. J. Thibeault et C. Fleuret (dir.) Didactique du français en contextes minoritaires : entre normes scolaires et plurilinguismes (p. 11- 30). Presses de l’Université d’Ottawa.

Fleuret, C. et Auger, N. (2019a). Translanguaging, recours aux langues et aux cultures de la classe autour de la littérature de jeunesse pour des publics allophones d’Ottawa (Canada) et de Montpellier (France) : opportunités et défis pour la classe. Cahiers de l’ILOB, 10, 107-136. https://doi.org/10.18192/olbiwp.v10i0.3789

Fleuret, C. et Sabatier, C. (2019). La littérature de jeunesse en contextes pluriels : perspectives interculturelles, enjeux didactiques et pratiques pédagogiques. Le Français dans le Monde – Recherches et Applications. Numéro spécial : Lectures de la littérature et appropriation des langues et cultures. [Numéro coordonné par Chiara Bemporad, Haute École Pédagogique de Lausanne et Thérèse Jeanneret, Université de Lausanne], (65), 95-111.www.fdlm.org/supplements/recherches-et-applications/recherches-applications-n65/

Fleuret, C. et Thibeault, J. Interactions verbales d’élèves allophones en retard scolaire lors de résolutions collaboratives de problèmes orthographiques. Recherches en didactique des langues et des cultures. DOI : 10.4000/rdlc.881

Fleuret, C., Bangou, F. et Ibrahim, A. (2013). Langues et enjeux interculturels : une exploration au cœur d’un programme d’appui à l’apprentissage du français de scolarisation pour les nouveaux arrivants. Revue canadienne de l’éducation, 36(4), 280-298. https://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/1558

Gérin-Lajoie, D. (2020). Les politiques scolaires et l’inclusion des élèves issus de l’immigration dans les écoles de langue française en Ontario. Éducation et francophonie, 48(1), 164-183. https://doi.org/10.7202/1070105ar

Gérin-Lajoie, D. et Jacquet, M. (2008). Regards croisés sur l’inclusion des minorités en contexte scolaire francophone minoritaire au Canada. Éducation et francophonie, 36(1), 25-43. https://doi.org/10.7202/018088ar

Prud’homme, L., Vienneau, R., Ramel, S. et Rousseau, N. (2011). La légitimité de la diversité en éducation : réflexion sur l’inclusion. Éducation et francophonie, 39(2), 6-22. https://doi.org/10.7202/1007725ar

Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (2009). Principe directeurs pour l’inclusion dans l’éducation. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000177849_fre

Potvin, M. (2013). L’éducation inclusive et antidiscriminatoire. Fondements et perspectives. Dans M. McAndrew, M. Potvin et C. Borri-Anadon (Dir.). Le développement d’institutions inclusives en contexte de diversité. Recherche, formation, partenariat, (p. 9-26) Presses de l’Université du Québec.

Prud’homme, L. (2007). La différenciation pédagogique : analyse du sens construit par des enseignantes et un chercheur-formateur dans un contexte de recherche action-formation [thèse de doctorat]. Université du Québec en Outaouais.

Zarate, G. (1993). Représentations de l’étranger et didactique des langues. Paris : Didier.