Viser l’équité numérique en Ontario français

Megan Cotnam-Kappel, Ph. D., Université d’Ottawa

La pandémie de COVID-19 nous a rappelé la place centrale qu’occupent les technologies numériques dans notre société et a mis en évidence le potentiel et les risques du numérique en éducation. À dire vrai, des inégalités numériques représentent un problème très réel de justice sociale dans notre société (Collin et coll., 2022), particulièrement pour celles et ceux qui sont en contexte linguistique minoritaire (Cotnam-Kappel, 2018; Cotnam-Kappel et Woods, 2020). En réfléchissant aux enjeux relatifs à l’équité et à l’inclusion dans les écoles de langue française de l’Ontario, il est ainsi d’une grande importance de prendre des actions concrètes pour réduire ses inégalités numériques.

Les inégalités numériques, c’est quoi au juste?

Alors que le terme « fracture numérique » est utilisé depuis les années 90 pour décrire l’importante variation d’accès aux technologies et à l’Internet et, par la suite, pour mettre en évidence les importantes variations d’usage dans notre société, nous privilégions ici le terme « inégalités numériques » pour refléter un plus large ensemble de complexités interdépendantes et systémiques qui dépassent l’angle binaire accès/pas d’accès (Brotcorne, 2022; Collin, 2013). Les nommer ainsi nous rappelle aussi leur dimension systémique, notamment 1) que des inégalités sociales qui existent hors ligne influencent l’adoption et l’utilisation des technologies numériques et 2) que les technologies ne sont pas neutres : les possibilités, les limites, les propriétés de design et les langues des outils et des plateformes peuvent être des vecteurs de pouvoir ou d’inégalités selon l’utilisation et le contexte (Brotcorne, 2022).

Nous nous inspirerons des typologies de Bihr et de Pfefferkorn (2008) ainsi que de Collin (2013) des inégalités numériques de l’avoir, du pouvoir et du savoir pour définir le concept d’inégalités numériques en fonction de trois niveaux (Cotnam-Kappel et Hagerman, 2020) :

  • Les inégalités d’accès au numérique : Ce sont les inégalités d’accès à l’Internet, aux technologies et à une variété de types de technologies. Les inégalités numériques s’enracinent dans ces inégalités d’accès. La pandémie a mis en lumière pour la communauté enseignante le fait que certaines et certains élèves, principalement dans les régions rurales et à faible revenu, n’ont toujours pas accès à des connexions Internet (Chen, 2015; Haight et coll. 2014). Même lorsque la connexion Internet est assurée, le nombre d’outils auxquels un enfant a accès peut avoir un effet déterminant sur ses utilisations et les occasions présentes de développer ses compétences numériques (Hargittai, 2010; van Deursen et van Dijk, 2014). Dans le contexte scolaire ontarien où les inégalités d’accès à l’Internet sont minimes, il existe tout de même des inégalités de types d’accès, par exemple variations 1) du ratio outil-élève; 2) de la qualité et de la variété des outils (ordinateurs, tablettes, téléphones, imprimantes 3D, et ainsi de suite); et 3) de la quantité de temps alloué au numérique. Qui plus est, en contexte linguistique minoritaire, il est important de tenir compte des inégalités d’accès linguistiques, notamment aux outils, aux plateformes et aux ressources qui sont le reflet des cultures et des variétés de français des élèves (Chaput et Champagne, 2012; Cotnam-Kappel et Woods, 2020).
  • Les inégalités de compétences numériques : Ce sont les occasions inégales des individus de développer un ensemble de connaissances, de pratiques, de dispositions, voire de compétences en littératies numériques, qui leur permettent de comprendre ce qu’ils lisent en ligne, de créer les textes numériques, et de participer avec confiance et en toute sécurité à des conversations en ligne. Les inégalités d’accès extra et intrascolaire ont une incidence directe sur ces inégalités de compétences.
  • Les inégalités d’empowerment numérique : Ce sont les inégalités liées à la capacité de l’individu de convertir les occasions offertes par son accès, ses usages et ses compétences numériques en pouvoir d’action pour s’exprimer et servir ses intérêts et ceux de sa communauté. Certains bénéfices d’une variation d’accès, d’usage et de compétences identifiés dans les recherches incluent des avantages économiques (occasions d’emploi plus nombreuses, augmentation de salaire, etc.), avantages sociaux (réseaux plus larges, etc.), politiques (recherche d’informations, engagement dans des discours politiques, votes, etc.) et scolaires (amélioration de notes, application de connaissances acquises, etc.) (van Deursen et Helsper, 2015, 2018).

Viser l’équité numérique, par où commencer?

Toutes et tous les enfants dans une salle de classe n’ont pas la même disposition à apprendre avec le numérique en raison de ces inégalités numériques. En reconnaissant les multiples niveaux d’inégalités numériques qui divisent les élèves, nous invitons le personnel enseignant et tout acteur du système scolaire à développer une lentille critique afin de mieux identifier les inégalités qui touchent leurs élèves et à prendre des actions concrètes pertinentes dans leur contexte. Nous préconisons des solutions faites par et pour les communautés qui sont le reflet des inégalités sociales et des ressources propres au contexte.

Nous proposons les questions de réflexion ci-dessous pour orienter le développement d’actions concrètes :

Quelles sont les inégalités d’accès (connexion, variété d’outils, accompagnement) qui touchent vos élèves à la maison? Quelle est la place du numérique dans l’expérience quotidienne des élèves à l’école? Quels sont les obstacles de recherche, de création et de participation en ligne dans votre école? Quelles sont les occasions de formation professionnelle qui bonifient les capacités d’agir du personnel enseignant pour accompagner leurs élèves dans le développement de compétences et d’empowerment numérique? Quelles ressources, quels outils, quelles politiques ou quels systèmes sont nécessaires pour viser l’équité numérique en français dans votre contexte?

Références

Brotcorne, P. (2022). Technologies numériques et inégalités. Dans S. Collin, J. Denouël, N. Guichon et E. Schneider (dir.). Le numérique en éducation et formation : Approches critiques (p. 85-116). Presses des Mines.

Chaput, M. et Champagne, A. (2012). Internet, nouveaux médias et médias sociaux. https://sencanada.ca/content/sen/Committee/411/OLLO/rep/rep05oct12-F.pdf

Chen, B. (2015). Exploring the digital divide: The use of digital technologies in Ontario public schools. Canadian Journal of Learning and Technology, 41(3), 1-23. https://doi.org/10.21432/T2KP6F

Collin, S., Denouël, J., Guichon, N. et Schneider, E. (dir.). (2022). Le numérique en éducation et formation : Approches critiques. Presses des Mines.

Collin, Simon (2013). « Les inégalités numériques en éducation : Une synthèse ».Adjectif.net (Accompagnement Décentralisé des JEunes Chercheur-e-s en TIC dans un cadre francophone), 1-6.

Cotnam-Kappel, M. et Hagerman, M.S. (2020). Les trois niveaux d’inégalités numériques. https://equitenumerique_digitalequity.ca

Cotnam-Kappel, M. et Woods, H. (2020). La participation en ligne des jeunes en Ontario français : Pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et pour les jeunes. Éducation et francophonie, 48(1), 144-163. https://www.acelf.ca/c/revue/pdf/EF-48-1-144_COTNAM-KAPPEL.pdf

Cotnam-Kappel, M. (2018). Les amis et le soutien comptent : Les compétences et besoins en littératies numériques d’élèves du secondaire en Ontario français. Canadian Journal of Learning and Technology/La revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, 44(1), 1-23. https://www.cjlt.ca/index.php/cjlt/article/view/27583/20416

Haight, M., Quan-Haase, A. et Corbett, B. A. (2014). Revisiting the digital divide in Canada: The impact of demographic factors on access to the internet, level of online activity, and social networking site usage. Information, Communication, & Society, 17(4), 503-519. https://doi.org/10.1080/1369118X.2014.891633

Hargittai, E. (2010). Digital na(t)ives? Variation in internet skills and uses among members of the "net generation." Sociological Inquiry, 80(1), 92-113. https://doi.org/10.1111/j.1475-682X.2009.00317.x

Hargittai, E. et Hsieh, Y. P. (2013). Digital inequality. Dans W. H. Dutton (dir.), The Oxford handbook of internet studies (p. 130-151). Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199589074.013.0007

van Deursen, A. J. A. M. et van Dijk, J. A. G. M. (2014). The digital divide shifts to differences in usage. New Media & Society, 16(3), 507-526. https://doi.org/10.1177/1461444813487959

van Deursen, A. J. A. M. et Helsper, E. J. (2015). The third-level digital divide: Who benefits most from being online? Dans L. Robinson, S. R. Cotton, J. Schulz, T. M. Hale et A. Williams (dir.), Communication and information technologies annual: Digital distinctions and Inequalities. Studies in media and communications, Vol. 10 (p. 29-52). Emerald Group Publishing. https://doi.org/10.1108/S2050-206020150000010002

van Deursen, A. J. A. M. et Helsper, E. J. (2018). Collateral benefits of Internet use: Explaining the diverse outcomes of engaging with the Internet. New Media & Society, 20(7), 2333-2351. https://doi.org/10.1177/1461444817715282